dimanche 28 septembre 2008

Chute

« Josselin marchait dans la rue, au hasard de ses propres pas, balloté tant par le vent lointain que par ses confuses pensées. L'air tout autour semblait se condenser, former un brouillard opaque qui prolongeait la brume mélancolique de sa propre humeur. Quelques rires d'enfants se faisaient entendre, à moins que ce ne fussent des cris effarouchés de chats poursuivis par des chiens taciturnes.
 
Tout à coup, Josselin aperçut un ruban mauve sur le trottoir. Un simple ruban mauve, sans rien de vraiment spécial, si ce n'est une teinte quelque peu criarde et de mauvais goût, il fallait bien le reconnaître. Mais quiconque eût détaillé le visage de Josselin aurait su que ce ruban ne lui était pas indifférent. Josselin était là, immobile, les traits violemment tendus par une force presque diabolique, tant elle était absurdement implacable. Le regard hagard, les cheveux hérissés et le sang bouillonnant, il fixa durant un long moment le petit morceau de tissu.
 
Puis, avec une violence inouïe, il se rua sur une vieille dame qui marchait un peu plus loin devant lui, et la précipita sous les roues d'une voiture qui passait à ce moment là. Sans attendre, il rabattit violemment la portière de cette voiture sur la tête du conducteur qui cherchait à l'ouvrir, scandalisé. Ce dernier s'effondra en gémissant. Puis ce fut le tour d'un chat de faire l'amère expérience des sensations que ressent un ballon de football lors du dégagement d'un gardien. Une jeune femme déguisée en prostituée pour son enterrement de vie de jeune fille ne comprit jamais comment elle perdit définitivement l'usage de ses jambes. Les actes barbares s'enchaînaient, dans un démoniaque déluge de haine et de brutalité.
 
Josselin avait tout simplement réalisé, en tombant sur ce ruban mauve, libre, émouvant dans son abandon à même le sol, qu'il devait gagner sa liberté pour se faire ruban lui-même. Il devait réaliser pleinement son libre-arbitre, son absolue liberté, l'accession aux faits les plus dépourvus de sens dans l'optique humaine. Josselin était tombé amoureux de la vie, ivre de liberté. »
 
Cette chute du roman dont vous n'êtes pas le héros vous est gracieusement offerte par Gustave Borjay. Cette naissance de l'implacable et déterminé (et maléfique) adversaire du héros a été coupée du livre, mais ne restera pas dans l'oubli. Son souverain brillant, son style impressionnant et sans concession, son génie étincelant vous sont accessibles, tout de suite, maintenant, comme ça. Pour que l'on se souvienne que le beau, le bien et le vrai existent. Pour qu'on se souvienne que Gustave Borjay écrit un livre décidément au-dessus de toute sphère.

Gustave Borjay vous salue.


Homme libre, toujours tu chériras le ruban.

1 commentaire:

  1. Alors, notre comportement de citoyens modèles ne serait que le reflet de notre inhibition, conditionnés que nous sommes par une société parvenue à brider nos pulsions destructrices ? Mais le retour à la liberté est-il souhaitable ? Heureusement que nous ne rencontrons pas tous NOTRE ruban...

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