vendredi 5 septembre 2008

Suicide party

Dans notre époque si actuelle, si contemporaine et si présente, où les faits sont si monotones, si gris, si pâles, les gens cherchent en désespoir de cause un petit grain de folie, une légère touche d'imprévu, un peu de renouveau. C'est pourquoi des hommes exceptionnels - dont Gustave Borjay n'est pas un des moindres - cherchent chaque jour, par leur labeur acharné, à prodiguer à ces hommes en galère de salvatrices distractions.

Mais cela ne marche pas toujours, pour deux raisons précises : parmi ces gens, tous n'ont pas le talent de l'auguste écrivain précédemment évoqué, et les affligés eux-mêmes n'ont pas forcément le talent pour découvrir la panacée artistique, même si on la leur tend des deux mains.

C'est pourquoi nous nous retrouvons dans une époque inhumaine où les déprimés se jettent sur les voix de chemin de fer, juste avant le passage d'un train qui va littéralement leur broyer le corps. Tout d'abord, un constat ; le billet n'est pas remboursé, car les causes du retard qui s'ensuit sont indépendantes de la volonté de la SNCF. Pourtant, rien n'empêcherait cette dernière de mettre en place des surveillances de voies par d'incorruptibles et féroces gardiens. On pourrait également créer des leurres, des rails sur lesquels ne circule pas un seul train mais plutôt un fort courant électrique : ainsi, le désespéré meurt sans ennuyer ses concitoyens, électrocuté. Enfin, pour ajouter une dernière idée en même temps qu'un dernier reproche, ce serait bien le diable, à cette époque rationnelle où la science a tout résolu, s'il était impossible de concevoir des trains chasse-neige, ou plutôt chasse-cadavres, qui projeteraient, sans ralentir, les corps inanimés sur les bas-côtés.

Mais allons plus loin. Remontons aux causes psychologiques. Sur les "suicidés par train", une des explications les moins répandues est le manque d'imagination et d'indépendance du futur macchabée, malheureuse victime du fameux slogan « à nous de vous faire préférer le train ». Passons vite également sur les clients mécontents qui se paient ainsi le luxent d'un dernier (et premier) pied de nez à la célèbre compagnie de transport.

Mais allons vraiment au fond des choses. Terminons sur le plus commun, sur le plus vulgaire suicide du pékin du coin. Ce dernier veut s'en aller, quitter la vie, mais malgré tout il voudrait bien continuer à exister, ne serait-ce que dans le souvenir des autres. Idée aussi stupide que répandue, qui résulte des contradictions pathologiques de l'être humain en déperdition. Réaction de lâcheté alliée à un dernier reste d'égocentrisme qui n'avait pourtant que trop servi.

Quel sera alors ce souvenir qui sera laissé au monde extérieur, au monde des vivants : un bon souvenir ? Bien sûr que non, si jamais le suicidaire pensait donner des bons souvenirs aux gens, il l'aurait déjà fait. Or il n'a plus d'amis, personne ne l'aime, pas même son lévrier afghan. Derrière lui l'herbe ne repousse pas sur l'affreux sillage des innombrables déceptions et ennuis causés à ses proches.

Il ne reste plus qu'une chose à faire : donner un mauvais souvenir au gens. D'où le suicide sous le train, qui effectivement casse les pieds de manière imparable. Le but est atteint, les gens sont excédés, ils prononcent par leurs insultes indignées l'oraison funèbre du misérable. Beaucoup de gens auront ainsi pensé à lui non sans une certaine émotion à l'heure de sa mort.

Cela revient, somme toute, à se faire griller dans un transformateur pour couper le courant d'un quartier entier. C'est un choix de vie - même si c'est le dernier - qui est une dernière nuisance adressée aux autres, un dernier signal, un chant du cygne.

Mes amis, dressons-nous tous ensemble et endiguons ce flot incessant de parasites à l'agonie, canalisons-les pour les empêcher de se donner une mort si triste, brisons plutôt leurs cervicales dans un local à l'abandon, empoisonnons-les lors d'un pot de l'amitié, écrasons-les dans un troisième sous-sol. Tirons pour toucher, touchons pour tuer. Ne faisons pas de quartier. Laissons un monde moralement vivable à nos enfants.

Gustave Borjay vous salue.


Le saut depuis un gratte-ciel est un suicide assurément plus citoyen.

5 commentaires:

  1. Je suis d'accord, le suicide pose une question d'éthique sociale : faut-il l'interdire s'il perturbe le mode de vie de la collectivité ? ou faut-il voir dans le droit de mettre un terme à ses jours une des prérogatives essentielles de l'homme libre ? Mais attention, la liberté d'attenter à ses propres jours doit avoir pour limite la liberté pour autrui de continuer à exister (aussi longtemps du moins que la nature le lui permet). Alors, Messieurs les suicidaires, pensez un peu aux autres, s'il vous plait ! Oui, le saut dans le vide depuis un immeuble collectif de plusieurs étages est une bonne solution qui concilie les intérêts du désespéré et des tiers. Oui, ce procédé est préférable au suicide ferroviaire mais à condition toutefois que le corps projeté depuis le dernier étage de la partie habitable du bâtiment ou depuis le niveau du complexe d'étanchéité n'aille pas choir inconsidérément sur un riverain ; comme quoi la vieille formule de la pendaison dans son garage (qui délivre une dernière "carte postale morale" bien sentie aux proches venus chercher la voiture...) ou le truc de la noyade dans une mare de ferme ne sont peut-être pas des façons de faire aussi périmées qu'il y paraît au premier abord. Parce que vous avez raison, Gustave Borjay, mourir dans la dignité c'est aussi savoir tirer sa révérence sans embarrasser la vie de ceux qui ont choisis de rester. Place aux jeunes, d'une certaine manière, mais hé ! ho !... en respectant la tranquillité de chacun -je le dis notamment pour le suicide des adolescents, dont le mode opératoire laisse, comme on le sait, très souvent à désirer ! Bravo, continuez votre excellent blog de partage de vie. Bien le boujour depuis l'Isère,

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  2. Emmerder les autres une dernière fois avant de partir, c'est peut-être aussi leur rendre la monnaie de leur pièce, non ?!

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  3. Excellent article mon cher Gustave ! Vous avez réussi à me changer efficacement les idées de mes sombres préoccupations du moment, au cours d'une journée qui s'annonçait plutôt en demie teinte... et ce n'était pas une mince affaire, je vous l'assure ! Merci encore pour ce sympathique moment passé en votre plaisante compagnie.

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  4. Je valide !!!!! Combien de fois n'ai-je pas été empoisonnée par de sombres crétins en mal d'exister : retards, correspondances loupées, chamboulement de tout l'emploi-du-temps, obligation de compenser la perte de temps en passant sa soirée à travailler... et avec tout ça, le prix du billet n'est pas remboursé par la SNCF, ni même par notre regretté de cujus, ou du moins par ses héritiers ! Sans compter que pour la propreté des gares, on repassera... Ciao les morts.

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  5. Je continue à vous lire, vous n'avez de crainte à avoir là dessus, surtout après un tel dernier article. Sachez en outre, que l'histoire du frigo avance -l'histoire en elle même sera courte, je ne voudrais dénaturé l'idée originale par trop de digressions- je pense même vous faire apparaître brièvement. Haha, n'ayez de crainte vous dis-je.

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