mercredi 6 août 2008

Ecrire un roman sur une idée forte

Gustave Borjay ne s'étendra pas sur l'éternel problème de la page blanche. Pour lui, c'est d'abord quelque chose qu'il n'a jamais connu et ne connaîtra jamais (en effet, un vrai écrivain saura toujours écrire quelque chose sur sa page, qui du coup ne sera plus blanche). Le problème peut donc être vu comme finalement un test de potentiel littéraire créatif, avec discrimination sur la paresse, l'absence d'imagination et les paralysies des mains - même si quant à ce dernier point, on peut imaginer que quelqu'un écrive avec la bouche ou le pied.

Gustave Borjay préférera traiter d'un sujet bien plus riche : comment écrire un roman sur une idée forte ? On adoptera dans cet article un raisonnement par l'exemple, inspiré d'une démarche authentique et réelle de l'écrivain B***, que l'on nommera ici Boniface par souci d'anonymat.

Un jour, Boniface décida de se ressourcer et s'en alla se promener le long d'une jolie petite rivière champêtre, parmi le joyeux pépiement des oiselets, le doux clapotis de l'eau vive, le paisible et soyeux frissonnement des feuilles d'arbres dans le vent. Il se mit à contempler non sans un certain attendrissement - Boniface avait toujours été d'un naturel tendre et contemplatif - une pacifique cigogne, qui, les pieds dans l'eau, cherchait sa pitance avec patience. Boniface se surprit à méditer sur les beautés de la nature, sur la vie tranquille et finalement utopique des cigognes qui n'ont rien à faire d'autre qu'à chercher leur nourriture dans un cadre magnifique. Soudain, interrompant les douces réflexions de notre ami Boniface qui se demandait alors s'il n'allait pas adopter une paisible vie d'ermite dans cet idyllique endroit, la cigogne s'élança avec un air de débauche bestiale, lançant toute sa masse sauvage dans un effroyable mouvement de plongeon piqué. Le bec impitoyable s'ouvrit brusquement pour se refermer avec une rage incroyable sur une pauvre sardine innocente qui sentit probablement son corps entier se disloquer avant de rendre l'âme.

Passons sur le traumatisme de Boniface et l'abandon de son projet de vie en ermite. Concentrons-nous en revanche sur l'interrogation qui lui vint, sans doute suscitée par un sentiment de justice : « Et si les sardines se mettaient à manger les cigognes ? » Telle fut l'idée forte de Boniface (cf. trouver une idée forte).

Malheureusement, cette idée était dans un état encore trop brut pour être immédiatement couchée par écrit et donner une œuvre aboutie, il fallait la travailler. Tout d'abord, Boniface, qui avait choisi d'écrire un roman écologique réaliste, se devait de mettre sur pied une trame cohérente. Pour justifier le fait que les sardines, après des millénaires passés à se faire lamentablement dévorer par des cigognes dépourvues de tout scrupule, choisissent enfin d'en faire leur propre repas, il fallait trouver un élément-choc qui puisse interpeller les pauvres sardines.

D'où l'arrivée géniale de Sardinou, une sardine étrangère décomplexée, qui plus est animée d'un inflexible esprit anti-cigogne comme jamais sardine ne l'avait été auparavant. Par ailleurs, Sardinou est doté d'un charisme supérieur, ses paroles franches et directes émeuvent tous ses proches, sa méthode d'entraînement physique porte on ne peut mieux ses fruits. Finalement, en dépit des avis réfractaires de quelques vieilles sardines au caractère ronchon et intolérant, le peuple des sardines déclara la guerre aux cigognes. Ce sera le point de départ du second livre de Boniface, La Dernière cigogne.

Revenons donc au livre initial, La Révolte des sardines. Grâce à des ajouts judicieux (Sardinou s'éprenant d'une sardine affriolante qu'il sauve in extrémis d'une horrible cigogne libidineuse, le projet fou d'une alliance entre les sardines et les harengs, le piège ignoble tendu à Sardinou par les vieilles sardines intolérantes, ...) Boniface put élaborer une histoire riche et trépidante.

Pour résumer, quand on a une idée forte, il faut la compléter et l'enrichir. C'est certes difficile pour certaines idées fortes (le tabouret beau-parleur pour n'en citer qu'une), mais c'est le passage obligé pour accéder à la réussite. « Look wider ! » disait Oscar Wilde. Elargissez-donc votre trame littéraire !

Gustave Borjay vous salue


Avec du citron c'est encore meilleur.

3 commentaires:

  1. Ernest Jauffrin6 août 2008 à 17:04

    L'humour de vos articles fait mouche, bravo Monsieur Borjay ! Votre esprit frondeur et cultivé nous divertit tout autant qu'il nous instruit. Nous comptons sur vous pour nous tenir au courant de l'actualité des sardines. Une question me taraude : seriez-vous prêt, après ce roman qui s'annonce passionnant, à écrire un livre dont vous ne seriez pas l'auteur ?

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  2. Je vous suis parfaitement dans votre théorie de l'idée forte, démontrée ici par un exemple ô combien pertinent. Tout sujet mérite roman comme dirait l'autre ! Sans vouloir être indiscret, Monsieur Borjay, aborderez-vous dans votre propre roman le complexe de la marmite sans couvercle ou bien les TOC du homard unijambiste ? Nous voulons en savoir plus ! Avec toute ma sympathie et ma reconnaissance pour cette nouvelle source d'agrément littéraire.

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  3. Très bien cette idée forte de la sardine anti-cigogne : c'était simple mais il fallait y penser. Peut-on se procurer dans le commerce une édition récente des œuvres de Boniface ? Je rangerais volontiers les œuvres de cet auteur dans ma bibliothèque aux côtés de mon cher Irénée et de bien d'autres livres à lire (mon Ignace par exemple). Merci, Monsieur Borjay, pour votre travail spirituel et civilisateur qui honore le "net".

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