mercredi 13 août 2008

La Vérité par le détail

Sous le mystérieux titre de cet article de Gustave Borjay se dissimule l'une des techniques les plus importantes pour écrire un roman de qualité. Pour éclairer le mystère, commençons par nous pencher sur un exemple concret. Sans doute vous souvenez vous de cette histoire d'inspecteur génial cherchant à venger la mort de son animal de compagnie (cf. bâtir un personnage sur du vent). De prime abord cette histoire semble distante (l'animal est désincarné, et flotte dans le paradis des animaux, loin de votre déprimante réalité quotidienne) et pire, peu crédible (on a du mal à croire qu'un inspecteur surdoué puisse être assez stupide pour s'attacher à un animal de compagnie). Pourtant vous y avez cru, à cette histoire, lorsque vous l'avez lue sous une forme un peu plus détaillée : l'animal est un chinchilla vénitien, il est mort dans de curieuses circonstances impliquant un vétérinaire roumain aux tarifs étrangement intéressants. Vous y avez cru.

Que s'est-il donc passé ? Disséquons ce phénomène intrigant, paranormal, pour en ôter toute magie et en comprendre les rouages secrets. La méthode est simple : l'ajout de détails en apparence anodins. Grâce à elle, l'animal désincarné devient un chinchilla vénitien, il a donc une silhouette, des pattes, une existence propre, et pourquoi pas une opinion sur la constitution européenne. Il est là, près de vous, le sympathique rongeur, un des rares vénitiens de son espèce ! Vous sentez son haleine tiède, sa sympathique odeur auprès de vous. De plus, il est mort - ce qui vous fait tirer une larme, maintenant qu'il vous est proche - des suites de l'incompétence ou de la cruauté d'un ignoble vétérinaire roumain bon marché, que vous haïssez de suite. Le miracle s'est produit : il n'y a plus de distance, vous êtes dans l'histoire, vous vous passionnez pour l'histoire du pauvre rongeur qui a dû dire adieu à la vie. Quant au délicat problème de la crédibilité, il disparaît de lui-même car vous avez ajouté une foule de détails plausibles, qui masquent les petites incohérences qui ont pu échapper à votre vigilance.

Si c'est encore incohérent, c'est mal parti. Vous pouvez toujours tenter d'étouffer le bon sens du lecteur sous une avalanches encore plus grande de détails inutiles et indigestes, dans l'espoir que ses faibles capacités cérébrales seront tout entières mobilisées pour assimiler ces détails, et qu'ainsi les incroyables aberrations logiques restantes passent inaperçues. N'espérez pas trop cependant.

Terminons cet article par un second exemple, lui aussi suffisamment exagéré pour être accessible à la masse. Prenons le cas d'un colis suspect abandonné dans une gare. Ce colis fait la taille d'une boîte de chaussures, il est en carton - un vieux carton, travaillé par le temps, défraichi comme Véronique Sanson - encerclé d'un ignoble scotch marron. Un léger tic-tac métallique semble s'en s'échapper. Il est seul, posé en gare de Lyon, au sous-sol, près d'un escalier permettant d'accéder à la voie J. L'éclat de la lumière dans le brouhaha glacé de la foule lui confère un aspect blafard, particulièrement repoussant. Et quand on se penche sur la boîte, on s'aperçoit que ce colis est fabriqué dans un carton latino-américain, à Cuba très exactement.

Bien sûr, on peut aller plus loin, parler des moisissures, de la petite ficelle sèche et rugueuse qui complète le scotch, d'une trace de gras, d'un reste d'étiquette arrachée où était probablement inscrit le nom et l'adresse de l'expéditeur initial et du retard tragique induit sur certaines lignes de la RATP suite à un colis suspect, avec son lot de suicides habituels. La seule limite est votre imagination. Espérons que vous l'avez aussi riche que

Gustave Borjay, qui vous salue.


« Toute essoufflée, Marthe revint prendre le précieux colis oublié,
la vieille horloge de sa Tante Herminie. »

3 commentaires:

  1. Imagination, imagination, imagination ! Si les auteurs contemporains pouvaient davantage s'inspirer de vos conseils, la littérature moderne n'y perdrait certes pas...

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  2. Je dois avouer que vous ne me faites pas hurler de rire, ce pour la simple et bonne raison que mes hennissements de hyènes sont intrinsèques, je ne voudrais effrayer frère, et mère tortionnaire. En parlant d'imagination, je suis certaine que certain d'entre nous feraient bien de s'imposer quelques limites, mon fantasque par exemple est incompréhensible. Il faudra me tenir au courant si vous sortez un bouquin, qu'j'y aille jeter un coup d'oeil voyez, ce sera une bonne occasion d'aller déambuler dans les rayons de la fnac. 'Fin bref.

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  3. Excellent article, où l'on apprécie la méthode illustrée par l'exemple.

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